Témoignage. Albane Blandel, cheffe d’exploitation : « On doit faire plus nos preuves que les hommes »

La proportion des femmes, cheffes d’exploitation agricole, stagne depuis vingt ans. Nous avons questionné Albane Blandel, une jeune agricultrice bretonne. Elle dépeint son métier en 2023, nous esquisse les freins à l’installation, mais aussi ce qui l’anime au quotidien.

 

 

Albane Blandel, une jeune agricultrice : «  Nous, les femmes, nous sommes autant capables que les hommes.  »   DR. Agriculteurs de Bretagne.

Vendredi 2 juin 2023, au bout du fil, Albane Blandel, agricultrice à Surzur dans le Morbihan. À 26 ans, elle est cheffe d’une exploitation de taille moyenne : 200 hectares en polyculture, 110 vaches laitières pour 80 à 90 vêlages par an. La jeune femme est aussi une agricultrice engagée pour ses pairs puisqu’elle est la Secrétaire générale des Jeunes agriculteurs du Morbihan. Et malgré, l’absence totale d’image, donc de visage – interview par téléphone oblige – on imagine, sans mal, une femme très souriante et à l’emploi du temps bien rempli.

D’ailleurs, le beau temps a avancé la date du semis. « Avec les Jeunes agriculteurs du Canton de Vannes-Elven, nous organisons une action solidaire. Le fruit de notre récolte sera reversé à une association. » Puis, juste après l’interview, elle retournera auprès de ses bêtes qui lui feront savoir si elle est en retard…

Fille d’agriculteurs

Agricultrice passionnée, Albane Blandel a passé son enfance au grand air, entourée de vaches laitières : « J’ai grandi ici, dans la ferme de mes parents que j’ai reprise. J’ai toujours su que je travaillerai dans ce milieu. Mais, je voulais faire de l’élevage équin et surtout pas à mon compte. »

Après le brevet des collèges, elle s’oriente en Bac pro conduite et gestion de l’entreprise agricole, en alternance. Elle poursuit ses études, en BTS production animale en apprentissage. Au bout de ses cinq années de formation, Albane Blandel décide finalement de retourner à ses premières amours : l’élevage de vaches. « L’élevage des bovins me manquait. Et puis, mes parents se rapprochaient de la retraite. L’exploitation allait se libérer et je n’avais pas envie qu’elle se retrouve dans les mains de quelqu’un d’autre. »

L’agricultrice précise que c’est aussi à cette période qu’elle a rencontré celui qui est désormais son mari. Elle se souvient : « Contrairement à moi, il avait vraiment envie de s’installer. À force, j’ai aussi voulu devenir cheffe d’entreprise, monter quelque chose ensemble et perpétuer ainsi l’entreprise familiale. »

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Freins et stéréotypes

Comme beaucoup de femmes, Albane Blandel se heurte alors à des obstacles. D’abord ses propres freins, puis ceux de ses parents et du milieu agricole. « Je ne me sentais pas capable d’être toute seule à la tête d’une entreprise, d’un troupeau de plus de 100 vaches comme on a actuellement. » L’exploitante poursuit : « La génération de mes parents avait encore cette image de la femme qui s’occupe juste de l’élevage et qui est plus conjointe collaboratrice que cheffe d’entreprise. Ce n’est pas ancré que les décisions concernant la ferme soient aussi prises par la femme. »

" On travaille plus longtemps en tant que salariée "

Même si les mentalités changent, le cas de la jeune agricultrice n’est pas isolé. L’étude de la Draaf  publiée en mai 2023, rapporte qu’en 2020, la part des femmes exploitantes en Bretagne est de 27%. Une femme sur deux s’installe avant l’âge de 34 ans, alors qu’un homme sur deux devient chef d’exploitation avant 25 ans, soit neuf ans de moins. Selon Albane Blandel, cette différence d’âge peut s’expliquer ainsi : « On doit faire plus nos preuves que les hommes. Alors, on étudie plus, on travaille plus longtemps en tant que salariée afin d’acquérir de l’expérience. »

 

Une féminisation des activités à la peine

Une fois installées, les femmes ne voient pas pour autant les freins se lever . Il faut du temps et une bonne dose de persévérance. « Une femme a autant les capacités de répondre à des questions sur les implantations de culture que sur l’élevage. Mais quand on reçoit des appels au sujet de nos cultures, c’est à mon mari que l’on téléphone, pour les vaches, les veaux, c’est à moi. Pourtant, on suit l’un et l’autre ces domaines et l’on est l’un et l’autre en capacité de répondre. Alors, je m’impose et ils finissent par comprendre. »

Cette répartition sexuée des activités existe déjà dès la formation. Dans la classe de BTS d’Albane Blandel, consacré  à l’élevage, sur 17 femmes, il y avait trois hommes. Dans la classe de son mari, où l’on apprenait comment gérer une entreprise agricole, la tendance était inversée. Albane se souvient de deux ou trois femmes pour 24 hommes. « Je pense que les femmes sont beaucoup plus orientées au niveau de la formation vers l’élevage et un peu moins vers la gestion de l’entreprise. Je suis toujours en lien avec certains établissements scolaires et cette différence demeure une réalité. »

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L’étude de la Draaf montre que cela se poursuit à l’installation. En Bretagne,  38% des exploitations exclusivement féminines sont spécialisées dans l’élevage d’ovins, de caprins et d’herbivores. Viennent ensuite les filières porcines et des fruits et autres cultures permanentes (plus de 20%). La jeune agricultrice insiste : « On a l’impression que la femme n’a pas la capacité de pouvoir tenir une entreprise toute seule et juste après la sortie de ses études, que ce n’est pas vraiment tout de suite pour elle. Il faut qu’elle étudie encore un peu plus longtemps que l’homme pour réussir et gérer son entreprise… »

Albane Blandel est une femme positive. Si elle reconnait les différences, les stéréotypes et les freins, elle souligne néanmoins que le changement est en bonne voie. « Nous sommes bien soutenues par les banques et la chambre d’agriculture. Je pense même que ce sont les premiers à nous conforter dans notre démarche. »

 

Un congé maternité comme les autres

Être agricultrice, c’est commencer ses journées très tôt, les finir tard, enchaîner les jours de travail. Physiquement, c’est fatiguant.
Comment cela se passe-t-il quand une femme est enceinte ? A-t-elle le droit à un congé maternité ? Albane Blandel sourit derrière son téléphone. Et pour cause :  elle doit accoucher à l’automne. : « Nous adhérons à un service de remplacement départemental (Seremor). Si demain, je suis arrêtée pour ma grossesse ou autre chose d’ailleurs, quelqu’un viendra me remplacer. Mon mari aura 25 jours de congés paternité. Nous sommes très bien couverts à ce sujet. »

La cheffe d’exploitation semble aujourd’hui comblée par son métier qui est aussi une passion. Et désormais, ses parents sont très fiers de la cheffe qu’elle est devenue. Ce qui plaît à Albane Blandel dans sa profession ? « J’aime être ma propre patronne. Je gère mes horaires, c’est quand même une chance énorme. J’aime aussi travailler en extérieur et m’occuper de mes vaches et de mes veaux. »

 

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D’ailleurs, il est déjà l’heure d’aller nourrir les petits veaux et de démarrer la traite. Avant de raccrocher, Albane Blandel glisse un petit mot pour les femmes qui voudraient sauter le pas de l’entrepreneuriat agricole : « Il faut qu’elles aient confiance en elles. Nous, les femmes, nous sommes autant capables que les hommes.  »

 

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Étude. Qui sont les agricultrices bretonnes ?

En 2020, près de 17 000 femmes travaillent, de façon permanente, dans les exploitations agricoles bretonnes. Qui sont ces professionnelles représentant 30% des actifs agricoles ? Les cheffes d’exploitation et les coexploitantes ont-elles des parcours différents de leurs confrères ? Leurs exploitations sont-elles similaires ? Basée sur les chiffres du dernier recensement agricole, une étude de la Draaf Bretagne brosse leur portrait et analyse leur place au sein du monde agricole breton.

Si la part des femmes en Bretagne et en France, tous secteurs d’activité confondus est proche de la parité (48%), celle des cheffes d’exploitation en Bretagne stagne depuis 20 ans. En revanche, l’emploi familial est en baisse et la main d’œuvre…  Lire la suite

 

 

Aller plus loin

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